La récente annonce du gouvernement ivoirien, datée du 21 mai 2025, de mettre fin à l’exclusivité de la Société des Transports Abidjanais (SOTRA) dans le transport collectif, pour y introduire des opérateurs privés, suscite de sérieuses interrogations. Si l’objectif est louable – améliorer l’offre de mobilité – le risque est grand de dénaturer l’essence même du transport public, qui est avant tout un service social.
À Abidjan, la SOTRA n’est pas un monopole. Les “gbakas”, ces minibus informels, en sont la preuve vivante. Mais la SOTRA est le seul opérateur public dont la mission est d’assurer un transport à caractère social. C’est cette spécificité qui doit être préservée. Comme à New York, Paris, Londres ou Chicago, où des opérateurs publics dominants garantissent un accès équitable à la mobilité, la SOTRA est le pilier d’un service public essentiel pour les populations à faible revenu. Remettre en question son exclusivité dans ce domaine, c’est prendre le risque de laisser les plus vulnérables à la merci d’opérateurs privés, potentiellement plus coûteux et moins fiables. La SOTRA, à l’image de la Metropolitan Transportation Authority (MTA) à New York, ne cherche pas la rentabilité à tout prix, mais une accessibilité pour tous, avec des tarifs subventionnés.

Abidjan est une ville où le transport est multimodal : bus, bateaux-bus, et bientôt le métro. La SOTRA est idéalement placée pour orchestrer cette synergie, offrant une carte d’abonnement unique qui simplifierait la vie des usagers. Imaginez une seule carte pour tous vos déplacements, comme la carte Oyster à Londres ou la carte Navigo à Paris. L’introduction de multiples opérateurs privés fragmenterait ce système, compliquant la gestion et augmentant potentiellement les coûts pour l’usager. L’intégration du futur métro au réseau SOTRA garantirait une planification cohérente et une tarification unifiée, essentielle pour une ville en pleine croissance.
Les élèves et étudiants abidjanais comptent sur la SOTRA. Leurs abonnements subventionnés sont un pilier essentiel pour l’accès à l’éducation, allégeant le fardeau financier des familles. Si des opérateurs privés entrent en jeu, ces jeunes risquent de devoir jongler avec différentes cartes de transport, sans bénéficier des mêmes tarifs réduits. Cela creuserait les inégalités et rendrait l’accès à l’éducation plus difficile pour beaucoup. La SOTRA, à l’instar de la RATP à Paris avec la carte Imagine R, joue un rôle social majeur qui ne doit pas être mis en péril.

Plutôt que de créer une concurrence à Abidjan, pourquoi ne pas orienter les opérateurs privés vers les villes de l’intérieur, comme Bouaké, Yamoussoukro ou San-Pédro, où l’offre de transport public est encore limitée ? Cette approche permettrait de développer la mobilité sur l’ensemble du territoire, sans compromettre le système intégré et social d’Abidjan. C’est une stratégie équilibrée, à l’image de ce qui se fait au Maroc, où les opérateurs privés se concentrent sur des villes secondaires tandis que les grandes métropoles conservent un système public centralisé.
Enfin, la sécurité et la qualité. Contrairement aux “gbakas”, souvent décriés pour leur entretien sommaire, la SOTRA est soumise à des normes strictes. L’arrivée d’opérateurs privés pourrait entraîner une baisse de la qualité, les entreprises cherchant à réduire les coûts pour maximiser leurs profits. Dans une ville aussi dense qu’Abidjan, la sécurité des usagers doit être la priorité absolue, et la SOTRA est, de par sa structure, la mieux placée pour la garantir.

La SOTRA est un acteur clé du développement urbain d’Abidjan, notamment avec l’arrivée du métro. Conserver son exclusivité sur le transport public à caractère social, c’est assurer une coordination cohérente entre les différents modes de transport, répondant ainsi aux besoins croissants de mobilité de la ville. La concurrence risquerait de fragmenter cette vision, compliquant la planification et réduisant l’efficacité globale du réseau.
La levée de l’exclusivité de la SOTRA est une décision risquée pour l’accessibilité, la sécurité et la cohérence du système de transport d’Abidjan. Le rôle unique de la SOTRA en tant qu’opérateur public social est indispensable. Intégrer le futur métro à son réseau et maintenir une carte d’abonnement unifiée est crucial pour tous les usagers, en particulier les élèves et étudiants. La modernisation de la SOTRA, plutôt que sa mise en concurrence, est la voie à suivre pour garantir une mobilité équitable, sûre et efficace à Abidjan, au service de tous ses habitants.


































































