Joëlle Vanessa Yede, La philosophe qui veut conquérir Sikensi

Joëlle Vanessa Yede, La philosophe qui veut conquérir Sikensi

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À 30 km d’Abidjan, une doctorante en philosophie bouscule les codes de la politique locale. Portrait d’une candidate pas comme les autres.
SIKENSI (Côte d’Ivoire) – Dans cette commune de 75 000 habitants située au sud d’Abidjan, une candidature inattendue secoue la campagne des élections municipales. Joëlle Vanessa Yede, 32 ans, doctorante en Philosophie des Techniques et des Technologies, a décidé de quitter ses livres pour se lancer dans l’arène politique. Une démarche audacieuse dans un pays où les femmes ne représentent que 13% des élus locaux.
« Les philosophes doivent gouverner »
Assise dans un maquis du centre-ville, entre deux rendez-vous pour rencontrer des jeune de la commune, cette assistante administrative et commerciale ne cache pas ses références intellectuelles. « Platon disait que les philosophes doivent gouverner pour que la cité soit juste », lance-t-elle avec conviction, avant de tempérer : « Aujourd’hui, je m’engage non pas pour dominer, mais pour servir avec lucidité, écoute et responsabilité. Car être philosophe, c’est penser avec rigueur, mais aussi agir avec cœur. »
Un discours qui détonne dans le paysage politique ivoirien, habitué aux figures plus classiques des politiciens. Mais Joëlle Vanessa Yede assume pleinement cette singularité. Pour elle, sa formation en éthique, logique et pensée critique constitue un atout majeur face aux « enjeux complexes du développement local ».
Une fille du pays
« Je suis une fille de Sikensi, je connais vos difficultés », répète-t-elle à chaque sortie sur les réseaux sociaux. Et de fait, cette native de la commune a grandi ici, dans cette ville carrefour du département d’Agnéby-Tiassa, où se mêlent les populations Abidji et les migrants venus d’ailleurs. Elle connaît les routes défoncées, le manque d’emplois pour les jeunes, les difficultés des femmes entrepreneures.
Son programme ? « Je ne viens pas promettre, je viens agir. Ensemble, nous allons bâtir une commune où la jeunesse travaille, où les femmes réussissent et où nos familles vivent dignement. » Derrière ces formules, elle promet du concret : dialogue permanent avec la population, transparence sur l’utilisation des budgets, et surtout, un développement pensé sur le long terme.
La charge contre les sortants
Car c’est bien là que le bât blesse, selon elle. Les dirigeants actuels ne se manifestent qu’à l’approche des scrutins. « Sikensi mérite un développement durable, pas des actions calculées de circonstance », assène-t-elle, visant directement l’équipe municipale sortante qui multiplie les inaugurations depuis quelques mois.
Une critique que certains jugent sévère. « Elle est jeune, elle manque d’expérience de la gestion publique », rétorque un conseiller municipal en place. « Nous verrons si ses belles théories philosophiques résistent à la réalité du terrain. »
L’appel de Fanon
Justement, l’argument de la jeunesse, Joëlle Vanessa Yede le retourne comme un gant. Citant Frantz Fanon, figure majeure du panafricanisme, elle martèle : « Chaque génération doit, dans une relative opacité, découvrir sa mission, la remplir ou la trahir. » Pour elle, le moment est venu pour sa génération de « bâtir une Côte d’Ivoire plus juste, plus forte et plus humaine ».
Un message qui semble porter auprès des jeunes électeurs de Sikensi, nombreux à assister à ses rassemblements. « Elle nous parle différemment, elle ne nous prend pas pour des idiots », confie Ama, 24 ans, vendeuse au marché central.
Le pari de la rupture
Reste à savoir si cette approche philosophique convaincra au-delà des cercles intellectuels et de la jeunesse urbaine. Dans une commune encore largement rurale, où les réseaux traditionnels et les logiques de clan restent puissants, Joëlle Vanessa Yede fait le pari de la rupture.
« Une ville éclairée par la réflexion, portée par l’humain, et tournée vers l’avenir » : tel est son slogan de campagne. Ambitieux, certes. Mais dans cette Côte d’Ivoire post-crise qui cherche ses nouveaux repères, l’audace de cette « philosophe en politique » pourrait bien séduire.
Rendez-vous dans les urnes pour savoir si Platon avait raison.
Son parcours
Joëlle Vanessa Yede, 32 ans
•Doctorante en Philosophie des Techniques et des Technologies
•Assistante administrative et commerciale
•Native de Sikensi (département d’Agnéby-Tiassa)
•Première candidature politique
LES ENJEUX DE SIKENSI
•Population : environ 75 000 habitants
•Situation : à 30 km au nord d’Abidjan
•Défis : chômage des jeunes, infrastructures vétustes, accès aux services de base
•Élections : municipales à venir (date à confirmer)
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