Abidjan n’a plus besoin de dix maires : plaidoyer pour une gouvernance unifiée

Abidjan n’a plus besoin de dix maires : plaidoyer pour une gouvernance unifiée

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Opinion :Repenser la gouvernance d’Abidjan : Un appel au changement

 

Il y a quarante-cinq ans, Abidjan a été organisée en dix communes. Aujourd’hui, ce modèle de gouvernance semble épuisé. Avec une population de plus de six millions d’habitants, notre capitale économique a besoin d’une gestion moderne, cohérente et efficace pour relever les défis d’une métropole en pleine croissance. Le système actuel, fragmenté et déséquilibré, freine le développement harmonieux de la ville et alimente la frustration des citoyens.

Une gouvernance confrontée à la réalité

Chaque jour, les habitants d’Abidjan perdent des heures dans les embouteillages, constatent les inégalités criantes entre les quartiers et subissent l’inefficacité des services publics. Ces problèmes ne sont pas anodins : ils sont le résultat d’une structure institutionnelle dépassée, mise en place par la loi de 1980 qui a divisé Abidjan en dix communes autonomes.

Cette organisation crée une situation paradoxale. D’un côté, un gouverneur nommé par l’État dispose d’un budget d’environ 168 milliards de FCFA . De l’autre, dix maires élus doivent se contenter d’un budget cumulé autour de seulement 92 milliards de FCFA, ce qui révèle un déséquilibre frappant dans leurs capacités d’action.

Ce modèle semble épuisé principalement parce que les communes fonctionnent comme des villes à l’intérieur de la ville. Chaque commune abrite ses quartiers précaires mais dispose de ressources insuffisantes pour les traiter efficacement. Cette fragmentation génère une lourdeur administrative considérable où les projets stagnent entre différents services et procédures.

Certains maires gèrent des territoires si vastes qu’ils ne peuvent exercer efficacement leur mission, tandis que d’autres dirigent des communes trop petites pour porter des projets d’envergure. Les limites administratives rigides empêchent souvent de traiter les problèmes qui dépassent les frontières communales, rendant les solutions partielles et inefficaces.

Résultat : les responsabilités se perdent et les citoyens ont du mal à identifier les véritables décideurs. Comment transformer cette mosaïque administrative en un système de gouvernance métropolitaine cohérent ?​​​​​​​​​​​​​​​​

Prenons des exemples concrets. Lors des inondations à la Riviera Palmeraie, le maire de Cocody a été vivement critiqué. Mais une question se pose : ces problèmes relèvent-ils vraiment de sa compétence ? Cette interrogation est légitime, car même le ramassage des ordures, géré par une société privée sous tutelle étatique, échappe aux maires, alors que la propreté est souvent le premier critère d’évaluation de leur mandat. De même, l’assainissement et la voirie relèvent de structures étatiques comme l’AGEROUTE, tandis que la sécurité reste une prérogative exclusive de l’État. Que reste-t-il alors aux maires, sinon la gestion de l’état civil, de quelques marchés et l’organisation de cérémonies comme les mariages ?

 

Des chiffres éloquents

Les données parlent d’elles-mêmes. Entre 2018 et 2023, 37 projets d’aménagement majeurs ont été retardés ou abandonnés en raison de conflits institutionnels. Le coût de cette bureaucratie pléthorique s’élève à plus de 11 milliards de FCFA par an, sans compter les pertes liées aux retards administratifs.

Plus alarmant encore : selon une récente enquête, seulement 32 % des Abidjanais font confiance à leur maire. Cette défiance traduit un décalage profond entre les attentes des citoyens et la réalité institutionnelle.

S’inspirer des grandes métropoles

Ailleurs, des villes comme New York, Chicago, Londres, Paris ou Tokyo ont adopté des modèles de gouvernance centralisée, avec un maire unique et un conseil municipal fort. Ces métropoles prouvent qu’une gestion unifiée n’exclut pas la proximité : elle la renforce en clarifiant les responsabilités et en optimisant les ressources. Les citoyens savent à qui s’adresser, et les élus locaux disposent de moyens clairs pour agir.

Une proposition audacieuse pour Abidjan

Imaginons une gouvernance réinventée pour Abidjan. Un maire unique, élu au suffrage universel direct, porterait une vision globale pour la ville. Les dix communes actuelles seraient remplacées par 70 arrondissements à taille humaine, chacun représenté par un élu de proximité siégeant au conseil municipal.

Ce modèle garantirait une démocratie locale plus efficace et une meilleure prise en compte des réalités territoriales. Car, même au sein d’une commune comme Marcory, les besoins divergent radicalement entre Biétry ou la Zone 4, quartiers résidentiels aisés, et Anoumabo, zone populaire confrontée à des défis d’assainissement, de voirie et de sécurité. Un chef d’arrondissement dédié à chaque territoire homogène – Anoumabo, Gonzagueville, Vridi, Williamsville, Plateau Dokui, Blakaus, Angré, Riviera, Gesco, Niangon – permettrait de mieux défendre leurs intérêts spécifiques.

Ce système serait aussi plus économique. Actuellement, Abidjan compte 382 conseillers municipaux répartis dans les dix communes, auxquels s’ajoutent 70 conseillers du District, soit 452 élus. Avec le nouveau modèle, 70 chefs d’arrondissement siégeraient au conseil municipal, formant un parlement local aux côtés du maire, chef de l’exécutif. Cette rationalisation générerait des économies de plus de 3 milliards de FCFA par an, qui pourraient être réinvestis dans les infrastructures et les services publics.

Ce tableau montre une comparaison entre la situation actuelle et la proposition de réforme. Les économies réalisées proviennent de la réduction du nombre d’élus et de la rationalisation des structures administratives. Les budgets sont réalloués pour renforcer les services publics et les infrastructures locales.

Répondre aux inquiétudes

Certains craignent qu’un maire unique concentre trop de pouvoir. Cette inquiétude est légitime, mais le conseil municipal, composé de 70 élus représentant chaque arrondissement, constituerait un contre-pouvoir robuste. Chaque quartier aurait sa voix, chaque communauté serait entendue.

D’autres s’inquiètent pour les zones populaires, souvent négligées. Pourtant, le système actuel les désavantage en concentrant les ressources sur les quartiers influents. Une gouvernance centralisée, avec une répartition équitable des budgets, garantirait une meilleure justice territoriale.

Les résistances politiques sont inévitables. Les maires et conseillers actuels défendront leurs positions. Mais l’avenir d’Abidjan peut-il être sacrifié à des intérêts particuliers ? Les citoyens ont le droit d’exiger une gouvernance à la hauteur de leurs ambitions.

L’urgence d’une réforme

Abidjan grandit, se modernise et rayonne. Elle accueille des événements d’envergure, attire les investisseurs et incarne le dynamisme ivoirien. Cette ambition ne peut être freinée par une gouvernance dépassée.

La réforme institutionnelle n’est pas une simple question administrative : c’est un enjeu démocratique. Elle vise à rendre le pouvoir aux citoyens, à rapprocher les élus des populations et à poser les bases d’un développement harmonieux. Paris a unifié ses arrondissements au XIXe siècle, New York a consolidé sa gouvernance au XXe siècle, Londres s’est réorganisée dans les années 2000. Abidjan doit, à son tour, franchir ce cap.

Rene Lamah, Fondateur de l’Institut de Gouvernance et d’Assistance aux Collectivités (IGAC)

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